samedi 27 novembre 2010

Les subtiles violences

Notre société consacre une quantité impressionnante de ses ressources à la publicité : de son élaboration à sa diffusion. Le cirque entourant les publicités diffusées lors du championnat du superbowl nous le montre. La publicité constitue une arme dans les guerres commerciales, politiques et idéologiques. Parce que les individus sont devenus « libres » de choisir, l’esprit est un territoire à conquérir, car l’adoption d’une idée ou d’un produit par une masse de gens suffisante constitue presque un test de légitimité moderne.



Pour gagner cette guerre, les publicitaires doivent influencer et persuader les individus de modifier leurs opinions et leurs choix de consommateurs. Toutefois, le pouvoir persuasif de la publicité ne repose pas sur les qualités réflexives de l’âme, ni sur son intuition, mais sur l’utilisation des sympathies et des antipathies de l’homme, de ses sentiments, et du développement des techniques de marketing et de l’utilisation des bases de données afin de piéger les individus.

Le désordre publicitaire
La publicité n’est pas essentiellement mauvaise, mais dans notre époque, son omniprésence la rend mauvaise. Que cela soit dans les toilettes, sur les autobus, à la télévision, sur internet, nos sens peuvent difficilement s’en échapper plus que quelques heures. La publicité engendre alors un ensemble de représentation mentale artificielle, et par un effet de débordement, elle participe à l’exacerbation de l’ensemble des désirs. Ainsi, si la publicité de telle marque de voiture ne fait pas acheter plus de voitures, mais l’ensemble des publicités de voiture représente un mantra hypnotique qui encourage l’utilisation et l’achat de la voiture. La publicité, comme phénomène global, permet de maintenir vivant le mythe de la liberté par la consommation et les idéologies qui s’y rapportent.

Le phénomène publicitaire n’est plus ordonné à la mesure de l’homme entier, ce qui inclut le divin. Mais c’est l’expression du refoulement de ce qui est transcendant. La publicité ne répond qu’aux besoins mineurs et non essentiels de l’homme. Elle est la manifestation de la licence morale et spirituelle qui accompagne l’individualisme philosophique,  corollaire à la démocratie libérale.

La consommation ne constitue pas un problème, la consommation n’est pas un mal en soi. Toutefois, c’est sa démesure qui est le problème.

La violence publicitaire
Et, la publicité est violente! L’omniprésence de la publicité constitue une violence acceptée socialement; elle ne brise aucun os, et, pourtant, elle enchaîne l’homme dans une prison invisible d’attentes et de fantasmes. Elle ne fait pas appel à l'intelligence et à l’intuition. L’espace mental naturel nécessaire à l’homme pour être libre, elle le souille. Elle cherche à séduire. Pour cela, elle peut faire rire, elle peut éveiller la sensualité, elle peut chercher à enflammer l’orgueil, ou la vanité, ou la vantardise.

La publicité s’impose à l’homme, son consentement est secondaire. De toute façon, nous sommes avides de nouveauté. Son objectif est de pénétrer dans l’esprit de l’individu et d’y faire sa résidence. Si pour l’homme dépendant au sexe, une seule image peut lui éveiller un désir. Pour l’homme qui ne possède pas de passion apparente, il faudra s’imposer à lui par un refrain qu’on n’oublie pas, l’humour, par n’importe quel artifice qui permettra que dans une semaine, un mois, un an germe un de ces désirs.

Ce battage publicitaire, comme il est souligné plus tôt, s’il n’arrive pas à créer de nouveaux désirs, légitimera la surconsommation, et nous fera oublier son caractère tout à fait scandaleux. À ce sujet, soulignons que Locke dans son Traité du gouvernement civil souligne que dans l’état de nature l’ensemble de la création est détenu en commun. Mais, ce qui est le fruit du labeur et de l’industrie de l’homme, cela lui appartient de droit. Toutefois, cela est vrai, tant que l’homme jouit de ses biens dans les limites de la raison. Ainsi « si l’on passe les bornes de la modération, et que l’on prenne plus de choses qu’on n’en a besoin, on prend, sans doute, ce qui appartient aux autres », à ce moment, on met en danger la vie d’un autre homme et on perd le droit de jouir de ce bien.

La publicité vise nos défauts et nos failles. Elle tourne nos instincts contre nous. Si, un homme souffre d’un orgueil démesuré. Que lui arrivera-t-il, si on lui présente constamment des images d’homme riches avec telle marque de voiture? Pour un autre ayant des problèmes avec les jeux de hasard, une petite publicité alléchante sur les nouvelles tables de black-jack l’incitera à aller dans un casino. On le sait, on le voit, pour certaines jeunes filles, leur désir de reconnaissance les poussera à rassembler à un modèle féminin stéréotypée et hypersexualisée. Pour chaque faiblesse psychologique, on retrouve un piège médiatique afin de s’imposer à l’âme de l’individu. Si l’âge adulte peut calmer cette suggestibilité à la publicité, ce sont tout de même, les individus les plus fragiles qui peuvent s’y faire prendre.

Alors, comment pouvons-nous qualifier une industrie qui utilise la misère des gens contre eux-mêmes afin de les piéger? Nous ne pouvons que la qualifier de violente!

Ulysse et les sirènes
Dans son ensemble, le résultat de l’omniprésence publicitaire est d’envoûter une multitude de gens afin qu’ils aspirent à surconsommer! En cela, chaque homme est semblable à Ulysse lorsqu’il eut à affronter les sirènes. Mais dans sa sagesse, Ulysse s’attacha au mat, et il exigea de ses marins qu’ils se bouchent les oreilles de cire afin qu’ils ne soient pas charmés par les sirènes. Si nous avions à réécrire cette histoire en nous inspirant de notre époque : Ulysse ne serait pas attaché au mat, il aurait les mains sur le gouvernail, ses marins n’auraient pas de cire dans les oreilles, mais plutôt des amplificateurs, et le chant des sirènes serait accompagné de projection vidéo et d’explosions pyrotechniques..

Et le chrétien?
Jésus entra dans le temple et chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple;[…] : Ma maison sera appelée maison de prière; mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. " Mathieu 21,12


La maison de Dieu est l’âme de l’homme, car c’est en esprit et en vérité que le chrétien doit adorer Dieu afin que celui-ci puisse y manifester sa présence. Pour cela, il faut que l’âme soit vide afin que le Seigneur puisse y exercer sa souveraineté. Car, Dieu est jaloux et son trône est notre âme. Ainsi, il est plus facile de percevoir l’utilité de l’ascèse. Celle-ci doit libérer l’âme de la présence de la créature afin d’y établir le trône vide de Dieu. Et, il est doublement pertinent de faire une ascèse mentale vis à vis des suggestions externes.

Car, l’homme qui ne prête pas attention est semblable à un château fort dont le pont-levis est descendu, et qui n’est pas gardé. À ce moment, des brigands peuvent y entrer, fréquenter les tavernes et y ravager sa cité. L’âme de l’homme finit par être encombrée du bruit et de l’agitation de ces brigands, et de tous les désirs nouveaux de l’homme. Bref, c’est tout un capharnaüm qu’est devenue l’âme de l’homme. Dans ce cas, l’appel à la prière ne peut plus être entendu, c’est pourquoi  pour le chrétien, la publicité est un danger. Car l’homme, et c’est naturel, sera appelé à désirer un moment donné ces biens. Tous les hommes de chair ont leur point d’achoppement.  Mais, le chrétien devra livrer le combat, il devra patienter et accepter cette souffrance, peut être même succombera-t-il. C’est une souffrance qu’il aurait peut-être mieux fait d’éviter.

Si l’homme veut garder sa liberté, car tout ce qui est bon cherche à libérer l’homme de ses prisons spirituelles, l’esprit doit abattre le vacarme des réclames afin qu’il puisse se dresser comme une forteresse au milieu de ce brouhaha publicitaire. Car, les subtiles violences sont toujours plus perverses que les apparentes.

 « Qu’est-ce qu’un esprit libre? Un esprit libre est celui qui n’est troublé par rien et n’est attaché à rien, qui n’a lié le meilleur de lui-même à aucun mode et ne songe en rien à ce qui est sien; complètement englouti dans la très chère volonté de Dieu, il est sorti de lui-même ».
-          Maître Eckhart 

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