dimanche 14 novembre 2010

Jésus-Christ monta dans un petit château fort...

Dans son sermon numéro 2, Maître Eckhart (1260-1328 ap. JC), un dominicain, maître en théologie de l’université de Paris, utilise un passage de l’Évangile de Luc (10,38) afin de montrer la disposition que doit avoir l’âme humaine afin d’accueillir le Christ. Maître Eckhart traduit ainsi Luc 10,38 : « Jésus-Christ monta dans un petit château fort et il y fut reçu par une vierge qui était une femme  »[1]. Pour lui, l’âme humaine se doit d’être vierge afin de recevoir le Christ.  Par virginité, il entend le détachement face aux choses de ce monde. Seulement, dans cette condition, le Christ peut, lui, venir y habiter afin que l’âme vierge se transforme en femme, car d’après Eckhart, il y fut reçu par une vierge qui était une femme.
Pour Maître Eckhart, la virginité de l’âme se définit par la liberté par rapport aux choses, aux images, aux sensations et aux créatures. Cela permet de comprendre que cette vierge qui était une femme, signifie qu’elle était vierge par rapport à la création, au terrestre, mais qu’elle était femme par rapport au Christ, au céleste. Pourquoi est-ce que l’âme humaine doit être vierge pour accueillir le Christ? Car, le Seigneur est le plus doux des sons et la plus subtile des lumières.  

Dans l’Ancien Testament, si Dieu se manifeste accompagné d’éclair c’est pour signifier sa puissance, sa gloire et sa royauté. Toutefois, dans le livre des Rois, on raconte  l’histoire du prophète Élie, qui eut ordre d’attendre la présence du Seigneur. Plusieurs phénomènes naturels impressionnants se produisirent, mais il ne vit pas le seigneur dans ces phénomènes. Finalement, ce fut dans un murmure doux et léger qu'il perçut sa présence : « … il y eut un vent fort et violent qui déchirait les montagnes et brisait les rochers : [mais] l'Éternel n'était pas dans le vent. Et après le vent, ce fut un tremblement de terre : [mais] l'Éternel n'était pas dans le tremblement de terre. Et après le tremblement de terre, un feu : [mais] l'Éternel n'était pas dans le feu. Et après le feu, un murmure doux et léger. Dès qu'Élie l'entendit, il se voila le visage avec son manteau.. »[2] C’est dans ce murmure doux et léger qu’Élie sentit la présence de Dieu, et il suivit ce murmure. Un murmure doux et léger dans lequel sont contenues la puissance, la gloire et la royauté du Seigneur.

Mais pour entendre ce murmure doux et léger, il faut que l’âme soit vierge et libre. Car, comment peut-on entendre ce murmure si l’âme est occupée à milles et une occupation ?

Dans la Bible, on le voit souvent, des prophètes vont dans le désert afin d’y trouver Dieu, ils y jeûnent et ils y prient. C'est à cet endroit que part Jésus afin de prier, de jeûner, et c’est aussi à cet endroit qu’il y sera tenté. Car le désert c'est l'absence. Mais pour la Bible, c’est dans cette absence qu'est caché le souffle, la parole de Dieu.

Dans le désert, la nuit, le ciel étoilé se manifeste. De tous les temps, ces cieux furent liés aux divins. L’âme habitée par le divin est semblable à une nuit peuplée d’étoile. Lorsque les activités et les préoccupations superficielles de l’homme s’éteignent et que le vide se fait. Lorsqu'en son cœur, il se forme un désert et que ses préoccupations s’éteignent. Le ciel éternel peuplé d’étoile apparaît; expression éternelle, immuable et symbolique de l’infini, de la sagesse et de la beauté de Dieu. Toutefois, il ne faut qu’une ville, telle Las Vegas, apparaisse pour que ce ciel peuplé d’étoile, brillant délicatement et subtilement, s’éteigne au profit des lumières nées de l’industrie, de l'agitation et du désir des hommes. Ce n’est pas un hasard, si les hommes perdent le goût du divin, du silence et de la beauté, à mesure que les villes tissent leurs toiles lumineuses, voilant du regard des hommes le champ infini suspendu au-dessus de leurs têtes.

Ainsi, afin d’accueillir le divin, l’homme doit se créer une forteresse. On doit ériger un rempart contre les agressions extérieures de la publicité, des réclames, des excitations sensorielles artificielles, des passions, qui enchaînent l’âme, afin que dans ce château, il puisse y avoir cette « vierge qui était une femme ». À ce moment, Jésus pourra monter dans ce  « petit château fort ». Dans cet espace protégé par des remparts, le Christ pourra y parler, et l’âme pourra s’y mouvoir librement et joyeusement, elle sera aussi femme par la grâce de la présence du Christ. Ainsi, ce sera à l’extérieur de ce château que se retrouveront les brigands, les violeurs, les assassins et les mille séductions.

Il y a des musiques qui nous permettent d’ériger des murailles, et d'aider à faire ce silence en nous, je pense spécialement aux chants grégoriens et aux compositions d’Arvo Part.

Attaché à ce billet : Arvo Part, « Spiegel I’m Spiegel » (Mirroir dans un Mirroir)


[1]  Certains remarqueront que la traduction de Maitre Eckhart est très différente de la bible actuelle. Je vais revenir sur l'histoire de cet extrait (Marthe et Marie) dans un prochain billet. Pour l'instant, ne nous concentrons pas sur la validité exégétique de la traduction d’Eckhart.
[2]  1 Rois 19:11

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