samedi 8 janvier 2011

Niezsche: Commentaire sur l'Insensé (Aphorisme 125)

Le gai savoir : L’insensé (Friedrich Nietzsche)
« Où est allé Dieu ? s'écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l'avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon ? Qu'avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? — les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! » (Le Gai Savoir)

Psaume 14 (La Bible)
« L'insensé dit dans son cœur: " Il n'y a point de Dieu!..»

L’aphoriste 125 du Gai savoir de F. Nietzsche, dans sa traduction française, est presque une musique. Avec ses brèves questions et ses courtes affirmations, Nietzsche souligne le caractère dramatique et catastrophique de la mort de Dieu.  L’insensé avec sa lanterne allumée en plein midi crie sur la place publique, au milieu des badauds, qu’il cherche Dieu : « Je cherche Dieu! Je cherche Dieu! ». L’Insensé cherche Dieu, car il est celui qui veut créer une nouvelle étoile, il n’est pas insensible à la mort de Dieu. L’Insensé s’inquiète du nihilisme qui peut survenir. Mais voilà que la foule le regarde étonné, c’est alors qu’il saute au milieu de la foule, comme un prophète, et, à ceux qui se moquaient de lui, il leur dévoile que Dieu est maintenant mort, et que c’est nous (comprendre l’Insensé et ses compagnons) qui l ont tué.


Dans cet extrait, Nietzsche s’adresse certainement à ses compatriotes athées ou matérialistes, qui connaissent la mort de Dieu, et leur montre la conséquence de cette mort de Dieu : « … lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil? Où la conduisent maintenant ses mouvements? Où la conduisent nos mouvements? Loin de tous soleils? Ne tombons-nous pas sans cesse? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés? Y a-t-il encore un en haut et un en bas? … Dieu est mort! Dieu reste mort! »  Cependant, les gens s’étonnent du discours de l’insensé. C’est alors que l’insensé jeta à terre sa lanterne, qui se brisa, et déclara à propos de ses compatriotes que « cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné – et pourtant, ce sont eux qui l’ont accompli! ».

D’après cet aphorisme, les hommes n’ont pas compris les conséquences de la mort de Dieu. Ses contemporains le regardent d’un air étonné, car ils ne peuvent pas assumer la mort de Dieu; ils croient encore à l’ombre de cet ancien Dieu. Dans un contexte occidental, l’ombre de cet ancien Dieu se retrouve être les valeurs encouragées par le christianisme : c'est-à-dire l’égalité entre les individus (l’égalité devant Dieu), la science comme dernière croyance (c'est-à-dire croyance en une vérité objective; comme la matière, les mathématiques), l’économisme ou les diverses sciences sociales (qui amèneraient un paradis terrestre), etc…

Nietzsche sent que la mort de Dieu devrait aussi ultimement mener à la mort de ces idéaux hérités des valeurs chrétiennes, mais ses compatriotes ne l'ont pas compris. C’est pourquoi que l’insensé peut dire que « cet événement énorme [la mort de Dieu] est encore en route, il marche – et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. » Nietzsche est conséquent et cohérent avec sa réflexion sur l’athéisme. Il est le véritable prophète de l’athéisme, et celle-ci doit mener, comme il le dit, à un renversement de toutes les valeurs judéo-chrétiennes. Sans Dieu, il n’y a plus de haut, ni de bas. Et, il n’y a plus de morales autrement que celles que nos inclinations nous indiquent de vivre... sinon, c'est que nous n'en avons pas terminé avec Dieu!

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